En 2001, nous avons créé avec succès ce chef‑d’œuvre du théâtre russe que nous avons joué lors de 200 représentations ayant rassemblé près de 50.000 spectateurs.
Aujourd’hui, le projet porte sur une mise en scène en grande salle. Le contenu dramaturgique de cette œuvre mettant en évidence les rouages retords de l’extrême droite est certes le même, mais malheureusement, force est de constater que la situation politique de notre pays et plus globalement de l’Europe ne s’est malheureusement pas améliorée. L’extrême droite s’impose dans de nombreux pays et il nous semble important que des créateurs pensent opportun de poursuivre leur travail de sensibilisation à l’encontre de ces fonctionnements inquiétants. D’autant que notre projet est de ramener sur le devant de la scène une œuvre majeure du répertoire qui n’a plus été montée depuis plus de 20 ans.
Pour créer ce Dragon aujourd’hui, nous nous appuierons encore sur les fonctionnements du conte, sur la liberté d’imaginaire et de fantaisie qui le définit, tout en veillant à ce qu’il entre lisiblement en résonance avec la société actuelle.
La pièce
Evguéni Schwartz a écrit Le Dragon pendant la deuxième guerre mondiale, en plein essor du nazisme. Usant avec brio et humour de la métaphore pour dénoncer le pouvoir absolu d’Hitler, la pièce créée à Moscou en 1944 ne connaîtra qu’une représentation : Staline, se jugeant critiqué par la pièce, fait interdire celle-ci. Elle ne sera réhabilitée que 20 ans plus tard.
L’écriture rythmée et ludique crée un conte singulier et jubilatoire qui joue avec le fantastique pour éclairer la réalité, dans un mélange de lucidité et de naïveté, d’inquiétude et d’espérance.
L’œuvre de Schwartz contribue à proposer des « principes de dignité » dont celui de combattre les forces destructrices au lieu d’y céder.
L’histoire du conte
Depuis 400 ans, un dragon de légende terrifiant, capable de prendre diverses apparences dont certaines très humaines, règne en tyran sur la cité. Il est soutenu par le bourgmestre de la ville et son fils Henri qui veillent à faire respecter le pouvoir du dictateur fondé sur la répression et la délation.
Chaque année, la population, complètement résignée à cette oppression, doit payer un lourd tribu alimentaire au Dragon et lui offrir en sacrifice une jeune fille qui, systématiquement, meurt de dégoût après sa « nuit de noce ».
Lancelot, héros professionnel, arrive dans la ville. Il s’éprend de la jeune vierge désignée et résignée, Elsa. Le héros décide de tuer le Dragon malgré l’hostilité des citoyens craintifs et provoque le monstre en duel . Il sort vainqueur du combat mais mortellement blessé, il disparaît.
Les citoyens semblent délivrés du joug de l’oppresseur, mais le Bourgmestre s’empare du pouvoir et réprime toute velléité de manifestation, il usurpe le titre de Tueur du Dragon et reprend à son compte le tribut de la jeune fille en obligeant Elsa à l’épouser.
Elsa trouve le courage et la force de se rebeller et refuse de se soumettre au nouveau dictateur. Aidée de Lancelot qui réapparaît, elle exhorte les citoyens à la vigilance et au courage de la démocratie.
Note d’intention
Le Dragon d’Eugène Schwartz est une pièce unique en son genre, puissante et colorée, magique et intelligente, inscrite dans le monde d’aujourd’hui, comme une fête au milieu d’un village, comme le plaisir d’une réflexion en commun. Un conte tout public qui met en scène le pouvoir despotique d’un dictateur fasciste.
La plume de Schwartz est d’une invention extraordinaire, drôle et intelligente, percutante aussi et féerique. De cette féerie théâtrale qu’aucun effet cinématographique ne pourra jamais égaler. Ce merveilleux de l’instant, de l’humain, de la suggestion et de l’illusion.
Mais la pièce de Schwartz, c’est avant tout un théâtre de sens, un théâtre qui met l’individu en face de ses choix et des conséquences qui en résultent. Un théâtre profondément constructif. S’il est vrai que le contexte dans lequel la pièce a été écrite livre une vraie analyse et dénonce les mécanismes de tout système totalitaire, on peut aussi trouver dans cette œuvre une réflexion générale sur nous les humains, comme une loupe grossissante sur nos humanités.
Aujourd’hui, nombreux sont les États modernes où le Dragon de Schwartz n’est pas un personnage de féerie, mais une réalité bien incarnée. Autour de nous, dans de nombreux pays d’Europe, l‘extrême droite est de plus en plus présente, elle gagne des points, des sièges et des mairies. Bien sûr, les forces démocratiques qui nous animent se refusent à imaginer que notre société puisse un jour complètement basculer dans les crocs de la bête immonde. Mais pour cela, il nous faut agir. Et là est la question principale du spectacle : sommes-nous partie prenante du monde dans lequel nous vivons ? Lancelot, le héros, seul ne peut rien. Chez nous non plus, point d’homme providentiel… La transformation ne viendra pas d’en haut, mais d’en bas, du nécessaire réinvestissement du champ de l’action civique.
Spectacle festif adressé à tous dès 8 ans, Le Dragon remettra à l’honneur la fonction énergisante du théâtre et proposera une réflexion constructive sur la démocratie.